vendredi 29 novembre 2013

Bonus : L'histoire de Jocelyne...

C’est l’histoire de Jocelyne à ses débuts, telle qu’elle est racontée à Clary, donc n’oubliez pas, dans cette histoire, vous êtes Clary qui écoute *.

Bien que cela ait été écrit dans le cadre de la cité de verre, cet extrait était trop long, il expliquait trop de choses, et a dû être raccourci et modifié. Cependant, c’est amusant de penser que c’est ainsi que les choses se sont passées pour Jocelyne, cet extrait doit être considéré comme non formel, donc ne soyez pas surpris si les choses dans les futurs livres de chasseurs d’ombres contredisent cette version des faits, ou s’ils contredisent les choses dans la cité de verre.

Attention, l'extrait peut présenter des spoilers pour ceux qui n'ont pas encore lu le tome 3


J’ai rencontré ton père à l’école, j'avais à peu près le même âge que toi quand tu as rencontré Simon. Tout le monde devrait avoir un ami comme ça dans sa vie. Mais il n’était pas ce genre d'ami-là pour moi... Luke l’était. Nous étions toujours ensemble. En fait, au début, je détestais Valentin, parce qu’il m’avait pris Luke et l’éloignait de moi. Valentin était l’élève le plus populaire de l’école. Il était tout ce qu’on peut attendre d’un leader naturel... beau, brillant, avec le genre de charisme qui conduisait les jeunes élèves à l’adorer. Il était assez gentil, mais il y avait déjà en lui quelque chose que je trouvais effrayant... il brillait, mais d'un d'éclat froid, comme un diamant. Et comme un diamant, il avait des arrêtes effilées et tranchantes.
Quand il avait dix-sept ans, son père a été tué lors d’un raid sur une meute de lycanthropes. Ce n’était pas un raid habituel… la meute n’avait rien fait pour enfreindre la loi, mais je ne l’ai appris que bien des années plus tard. Aucun d’entre eux. Tout ce que nous savions, c’est que Valentin était retourné à l’école complètement changé. On pouvait voir ses faces tranchantes tout le temps maintenant, le danger qui émanait de lui. Et il a commencé à recruter. Il attirait les autres élèves à lui comme des papillons à la lumière... et comme des papillons, leur désir pour lui allait entraîner la destruction de nombre d’entre eux à la fin. Il a attiré Hodge à lui, et Maryse et Robert Lightwood... les Penhallow, les Wayland. Ils sont venus et se sont regroupés autour de lui et ils ont exécuté ses ordres. Il m’a abordée plusieurs fois, mais je suis restée en dehors de tout cela, j’observais, soupçonneuse. Et puis, il est venu pour Luke… Je sais que Luke se demandait souvent pourquoi Valentin voulait qu’il rejoigne le cercle. Il n’était pas vraiment un guerrier à l’époque, pas un combattant né. Je ne lui ai jamais dit, mais je pensais parfois que Valentin l’avait vu comme un moyen pour arriver à ses fins. Un moyen pour arriver jusqu’à moi…

Valentin était quelqu’un qui savait toujours ce qu’il voulait. Et, il me voulait. Je n’ai jamais su pourquoi. La première fois que j’ai remarqué qu’il m’observait de l’autre côté du terrain d’entraînement, j’ai su. Le regard sur son visage... ce n’était pas de la nostalgie, ou du désir, il était calculateur et sûr. Le regard de quelqu’un qui promène ses yeux sur un menu, alors qu'il sait exactement ce qu’il veut commander. Son désir froid me faisait peur. Mais quand il a appelé Luke auprès de lui, et que Luke s’émerveillait de son éclat et de sa gentillesse, j’ai su que je ne pouvais plus rester à l’écart. Je devais rejoindre le cercle, pour voir ce qui avait attiré mon ami. À certains égards, Valentin... ton père... était exactement comme Luke l’avait décrit.
Le cercle se réunissait chaque nuit, souvent sur le terrain d’entraînement désert ou dans la forêt, sous les arbres, et Valentin faisait des discours sur des thèmes familiers : démons, créatures obscures, et ce qu’il appelait : les perversions des lois de l’Enclave. Je me souviens de ses inquiétudes, l’Ange n’a jamais voulu que nous vivions en paix avec les créatures obscures, mais il voulait plutôt les rayer de la surface de la planète avec les démons. Les accords étaient une parodie ; nous n’avions jamais été destinés à vivre en harmonie avec des « demi-hommes ».

Ses mots étaient durs, mais son attitude était... douce. Il avait une façon de te faire ressentir que tu étais la seule personne sur terre qui comptait pour lui, la seule dont il respectait vraiment l’opinion. Ses convictions étaient radicales et son dévouement au Cercle, total. Aujourd’hui je le vois comme du fanatisme, mais à l’époque sa détermination me fascinait. Il semblait être plein de passion. Je pouvais voir ce que Luke avait vu en lui. Assez rapidement, je suis tombée un peu amoureuse de lui. Tout comme toutes les filles du cercle l’étaient et probablement aussi quelques garçons. Tu ne t’engages pas dans quelque chose comme ça... un culte de la personnalité... sans être un peu amoureuse de ton chef. Valentin a commencé à me demander de rester après les réunions, juste pour parler avec lui. Il disait qu’il appréciait mon pragmatisme et mon objectivité. Je sais que les autres filles étaient jalouses. Je suis sûre qu’elles pensaient... et bien, tu peux t’imaginer ce qu’elles pensaient. Mais il n’y avait rien entre nous. Valentin voulait vraiment juste parler... à propos de l’avenir, de la loi, du Cercle et de où tout ceci allait nous mener. Au bout du compte, je suis celle qui a craqué et qui l’a embrassé en premier.

« Je le savais, » a été la première chose qu’il a dite, et puis il a ajouté : « Je t’ai toujours aimé, Jocelyne. » Et tu sais, il le pensait. Puis, nous avons passé toute la nuit dans les bois, à parler. Il m’a raconté comment il envisageait que nous dirigions le Cercle ensemble, pour toujours. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas le faire sans moi. Il disait : "J’ai toujours su que tu finirais par m’aimer toi aussi, ça ne faisait aucun doute pour moi."

 Je ne savais pas pourquoi c’était moi qu’il avait choisie. Il me semblait que je n’avais rien de spécial. Mais le choix de Valentin était clair : à partir de ce moment, nous étions ensemble, et il n’a jamais plus regardé une autre femme, pas de cette façon, pas à partir de cet instant et pas durant toutes les années où nous avons été mariés. Les autres filles ont cessé de me parler, mais ça me semblait un tout petit prix à payer. Luke... Luke était heureux pour moi. J’étais un peu surprise, je m’étais quand même posé la question... mais il était heureux. Je pouvais le dire.
Valentin était si dévoué qu’il m’a fallu beaucoup de temps pour remarquer les changements en lui. C’était comme si la mort de son père avait gratté et retiré de lui quelques couches de douce humanité, et maintenant il était étrangement et singulièrement cruel... mais seulement par flashs, si brefs que quand ils disparaissaient, je pouvais me demander s’ils avaient seulement existé.
Il y avait une fille dans notre classe qui voulait rejoindre le Cercle. Son frère aîné avait été mordu par un vampire, et en était devenu un lui-même : il aurait dû se tuer, ou laisser sa famille le tuer, mais il ne l’a pas fait et le bruit courait que la famille restait en contact avec lui. Valentin lui a donné un pieu de métal aiguisé et lui a dit de partir et d’aller planter le pieu dans le cœur de son frère pour le tuer et de ramener ses cendres ; seulement alors, elle pourrait être admise dans le cercle. La jeune fille s’est enfuie en pleurant. Je l’ai confronté plus tard, je lui ai dit qu’il ne pouvait pas être aussi cruel, autrement il ne vaudrait pas mieux que les créatures obscures elles-mêmes. "Mais c’est un monstre", m'avait-il répondu. Je lui ai dit que son frère était peut-être bien un monstre, mais elle n’en était pas un. Elle était une Nephilim, et rien ne justifiait de la torturer. Je pensais avoir été tellement large d’esprit et tolérante... ça me rend malade d’y penser aujourd'hui.

Je pensais qu’il serait furieux d’avoir été réprimandé, mais il ne l’était pas. Il était calme. « Parfois, j’ai peur de me perdre dans tout cela, Jocelyne", m’avait-il dit. « C’est pourquoi j’ai besoin de toi. Grâce à toi je reste humain." C’était la vérité. Je pouvais toujours le détourner de ses plans les plus extrêmes, le détourner de sa colère, le calmer. Personne d’autre ne pouvait le faire. Je savais que j’avais ce pouvoir sur lui et du coup, je me sentais importante, indispensable. Je pense que j’ai pris ce sentiment pour de l’amour…

Après avoir quitté l’école, nous nous sommes mariés dans la salle des Accords, tous nos amis étaient là. Même à ce moment-là, j’avais des doutes. J’ai levé les yeux au cours de la cérémonie et vu, à travers la verrière, une volée d’oiseaux volant au-dessus de nos têtes. J’ai ressenti une panique soudaine, si forte que mon cœur s’est mis à battre dans ma poitrine comme les ailes d’un de ces oiseaux. Je savais que ma vie ne serait plus jamais la même. J’ai essayé d’attirer l’attention de Luke... il était avec sa sœur, dans la première rangée des invités, et si Amatis souriait dans ma direction, Luke ne me regardait pas...

Nous sommes allés vivre dans un manoir que mes parents possédaient dans la campagne en dehors d’Alicante. Depuis qu’ils avaient vieilli, ils avaient déménagé dans une maison en bordure de canal à l’intérieur de la ville. Valentin lui-même avait grandi dans une maison juste à la frontière de la forêt de Brocéliande, mais il m’avait affirmé qu’elle était tombée en ruine depuis la mort de ses parents, et j’étais assez heureuse de vivre dans le manoir familial. Nous étions seulement à un demi-kilomètre de la maison de nos amis les Wayland... c’était pratique pour Valentin, car Michael Wayland était l’un des membres les plus enthousiastes du cercle, et le fait de rendre quelques visites aux Waylands nous préservait d’être tout le temps seuls tous les deux.

On dit que les hommes changent après le mariage. J’ignore si c’est Valentin qui a changé ou si j’ai simplement commencé à voir plus clairement sa véritable nature, je ne suis pas sûre. Il est devenu de plus en plus obsédé par sa cause et de plus en plus vicieux dans son exécution. Il continuait à dire qu’il n’avait jamais tué une créature obscure qui n’avait pas rompu les accords, mais je savais que ce n’était pas vrai. Une nuit, il avait emmené le Cercle d'en le but d'abattre une famille de loups-garous dans leur propre maison, affirmant qu’ils avaient assassiné des enfants humains et qu’ils avaient brûlé les corps. En effet, nous avons retrouvé de nombreux ossements calcinés dans la cheminée. Plus tard, j’ai entendu Valentin plaisanter avec Hodge qu’il était assez facile d’obtenir des ossements humains dans la cité des Os, pour peu qu’on prenne la peine de les chercher.

Il a commencé à disparaître de notre lit tard dans la nuit, en faisant de son mieux pour ne pas me réveiller, il revenait à l’aube, il sentait mauvais, le sang et pire encore. J’ai trouvé des vêtements ensanglantés dans la buanderie, il avait des plaies étranges et des égratignures sur les mains et les bras. J’étais réveillée la nuit par des cris et des hurlements qui semblaient venir de l’intérieur des murs de la maison. Je l’ai confronté avec toutes ces choses, j’ai exigé qu’il me dise ce qu’il faisait vraiment tous les soirs. Mais il s’est contenté de rire. " Tu t’imagines des choses, Jocelyne", m’avait-il dit. "C’est probablement à cause du bébé." Je l’ai dévisagé. " À cause du bébé ? Quel bébé ?"

Bien sûr, il avait raison. J’étais enceinte. Il l’avait su avant moi. J’ai essayé de réprimer mes peurs, en me disant qu’il essayait seulement de me protéger. Les réunions du Cercle n’étaient pas un endroit convenable pour une femme enceinte, disait-il, alors, je restais à la maison. J’étais si seule... je demandais à Luke de me rendre visite, mais il avait rarement le temps. Le Cercle et ses affaires l’occupaient énormément. Mais pouvais-je vraiment me plaindre ? Valentin était un mari extraordinairement attentif, il ne me laissait jamais lever le petit doigt, il m’amenait des boissons fortifiantes qu’il avait lui-même concoctées, un thé fort et doux qui chaque nuit me plongeait dans un profond sommeil. Et si parfois je me réveillais avec des blessures étranges ou des ecchymoses, eh bien, Valentin me disait que c’était parce que j’avais été somnambule... une affection courante chez les femmes enceintes, m’avait-il assuré.

Et puis, une nuit, j’ai été réveillée par un claquement terrible à la porte. J’ai couru en bas et j’ai trouvé Valentin debout sur le perron, tenant… il tenait Luke, il le portait comme un enfant, et ils étaient couverts de sang. Valentin vacillait d’épuisement sur ses pieds. "Une attaque de loup-garou", m’avait-t-il explqué. " C’est peut-être déjà trop tard" Mais je ne voulais pas entendre que c’était trop tard. Je l’ai aidé à traîner Luke jusqu’à l’étage dans une chambre d’amis, et j’ai envoyé un message à Ragnor Fell, le sorcier que mes parents appelaient souvent en cas de maladie. Les morsures de Lycanthrope ne répondent pas aux runes de guérison... il y a trop d’énergie démoniaque en elles. Luke hurlait et se débattait, il inondait les draps avec son sang ; je ne cessais d’éponger le sang de son épaule, mais il y en avait toujours plus. Valentin se tenait à côté de lui, les yeux baissés. "Peut-être que j’aurais dû le laisser mourir", disait-il, ses yeux noirs irradiaient, "peut-être que cela aurait été plus charitable, en comparaison de ce qui est en train de lui arriver."
"Ne dis pas ça", lui avais-je rétorqué. "Ne dit jamais cela. Toutes les morsures n’entraînent pas la lycanthropie." Et puis Fell est arrivé, et Valentin a mis de côté son discours d’abandonner Luke et est resté alors que nous le soignions. J’ai dormi dans la chambre de Luke cette nuit-là, et le matin il s’est réveillé, en bonne santé et capable de sourire. Mais nous n’avons pas eu très envie de sourire durant les trois semaines qui ont suivi. On dit qu’il y a une chance sur deux pour que la morsure d’un loup-garou transmette la lycanthropie. Je pense que c’est plutôt trois sur quatre. J’ai rarement vu quelqu’un échapper à la maladie, et malgré mes prières silencieuses durant ces horribles semaines, Luke n’a pas fait exception. Lors de la pleine lune suivante, il s’est transformé.

Il était là à notre porte au petit matin, couvert de sang, ses vêtements déchirés en lambeaux. Je lui ai tendu les bras, mais Valentin est venu à mes côtés. "Jocelyne", avait-t-il murmuré, " le bébé ". Comme si Luke était sur le point de se jeter sur moi et d’arracher le bébé de mon ventre, comme s’il était seulement capable de me faire du mal.

C’était Luke, mais Valentin m’a repoussée et a traîné Luke en bas des marches et jusque dans les bois. Quand il est revenu plus tard, il était seul. J’ai couru vers lui.  « Où est Lucian, où est-il ? j'ai demandé. "Je lui ai donné un couteau et lui ai dit de faire ce qu’il avait à faire. S’il a de l’honneur, il fera ce que j’ai dit." Je savais ce qu’il voulait dire. Il avait dit à Luke de se suicider, et j’étais presque sûre que Luke allait le faire.

Je crois que j’ai perdu connaissance. Je me souviens des ténèbres implacables, glaciale, et puis de me réveiller dans mon lit avec Valentin à côté de moi. Il se passait la main dans les cheveux. "Ne pleure pas pour lui maintenant", a-t-il dit, "nous aurions dû faire notre deuil il y a des semaines, quand il est vraiment mort. Cette chose qui était à notre porte ce matin, ce n’était pas Lucian." Mais je ne le croyais pas. J’avais vu les yeux de Luke quand il m’avait regardée ce matin-là, même sous ce masque de sang. J’aurais reconnu ces yeux n’importe où, et ce n’était pas ceux d’un monstre. Alors, j’ai su, avec une terrible certitude, qu’en perdant Luke j’avais perdu la chose la plus importante de ma vie.

Un terrible malheur s’est abattu sur moi. Si ça n’avait pas été pour le bien de l’enfant, je pense que je n’aurais ni mangé ni dormi dans les mois terribles qui ont suivi. Mon seul espoir était la chance que Luke ne se soit pas ôté la vie, mais qu'il ait simplement pris la fuite. Je suis allée voir Amatis dans l’espoir qu’elle allait m’aider à le trouver, mais elle avait ses propres tourments à affronter. Valentin avait choisi Stephen pour être son nouveau lieutenant à la place de Luke, mais ne pouvait pas tolérer le mariage de Stephen et Amatis. Il affirmait que c’était parce qu’elle s’était opposée au traitement de son frère, mais je sentais que c’était parce que, voir Amatis réveillait sa culpabilité au sujet de Luke. Dans les deux cas, il a convaincu Stephen de divorcer et de se remarier avec une belle jeune fille nommée Céline. Amatis était dévastée, tant et si bien qu’elle a refusé de me voir, elle me tenait pour responsable, avec Valentin, de son malheur. Et donc, j’ai perdu une autre amie.

En désespoir de cause, je suis allée voir Ragnor Fell et je l’ai supplié de chercher des nouvelles de Luke dans le milieu des créatures obscures. Il a gardé le silence un long moment après que je lui ai demandé. Enfin, il a fini par dire : "Il y a des gens qui seraient très en colère après moi si je t'aidais." "Mais vous connaissez ma famille depuis des années ! " J’ai protesté. « Vous me connaissez depuis que je suis une petite fille ». « À cette époque, tu étais Jocelyne Fairchild. Maintenant, tu es Jocelyne Morgenstern, l’épouse de Valentin". D’après lui, le nom de Valentin était comme du poison. "Valentin tue uniquement ceux qui enfreignent les accords," ai-je dit faiblement, en pensant à la famille de loups-garous et aux os qu’il avait mis lui-même dans leur foyer. Mais est-ce que cela avait été la seule fois ? "Ce n’est pas vrai," a protesté Fell, "et il fait bien pire que de tuer. Si je fais cela pour toi, si je cherche Lucian Graymark, tu dois faire quelque chose pour moi. Une nuit, tu devras suivre ton mari et voir où il va".
Et c’est ce que j’ai fait. Une nuit, j’ai seulement fait semblant de boire le thé qu’il m’a apporté, et fait semblant de m’endormir à ses côtés. Quand il s’est levé pour quitter la pièce, je l’ai suivi. Je l’ai vu entrer dans la bibliothèque et prendre un livre sur la paroi, et quand il l’a enlevé le mur a glissé et laissé apparaître un trou noir derrière...
 Je ne t’ai jamais raconté l’histoire de la femme de Barbe Bleue, n’est-ce pas ? Quand tu étais une petite fille... Je doute de l’avoir fait ; cette histoire m’effraie encore. Le mari qui dit à sa femme de ne jamais regarder dans la pièce fermée à clé, et quand elle a regardé, elle a trouvé les restes de toutes les femmes qu’il avait assassinées avant elle, affichées comme des papillons épinglés dans un cadre de verre. J’avais peur — mais je l’avais promis à Fell. Je devais savoir ce que Valentin faisait. Une nuit, j’ai attendu qu’il quitte la maison, et je suis allée à la bibliothèque, puis j’ai retiré le livre de sa place.

J’ai utilisé ma pierre de rune pour me guider vers le bas dans l’obscurité. L’odeur... oh, l’odeur, en bas, putride, de sang et de mort. Il avait creusé un entre sous la terre, dans ce qui avait été autrefois les caves. Il y avait des cellules à présent, avec des choses emprisonnées dedans. Des créatures démoniaques, attachées avec des chaînes en électrum, ils se tordaient et s’effondraient et gargouillaient dans leurs cellules, mais il y avait plus, bien plus... les corps de créatures obscures, à différents stades d’agonie et de mort. Il y avait des loups-garous, leurs corps à moitié dissous par de la poudre d’argent. Des vampires maintenus tête en bas dans de l’eau bénite jusqu’à ce que leur peau se décolle de leurs os. Des fées dont la peau avait été percée par du fer blanc.

Même aujourd’hui, je ne le vois pas comme un tortionnaire. Pas vraiment. Ce n’était pas comme s’il aimait leur douleur. Il semblait poursuivre un dessein presque scientifique. Il y avait des livres de notes à chaque porte de cellule, des enregistrements minutieux de ses expériences, combien de temps il avait fallu à chaque créature pour mourir. D’après ses gribouillages, il semblait qu’il injectait du sang de démons dans ces créatures... mais il ne pouvait pas faire ça. Quelle personne saine d’esprit ferait ça ? Il y avait un vampire dont la peau avait brûlé maintes et maintes fois pour voir s’il y avait un point au-delà duquel la pauvre créature ne pouvait plus se régénérer. En face de la page où cette expérience particulière était relatée, il avait écrit une série de notes avec un en-tête que je reconnaissais. C’était mon nom. Jocelyne. Mon cœur s’est mis à cogner à l’intérieur de ma poitrine. Avec des doigts tremblants, j’ai tourné les pages, les mots se sont embrasés dans mon cerveau. Jocelyne a bu le mélange à nouveau ce soir. Pas de changements visibles en elle, mais encore une fois c’est l’enfant qui m’intéresse... Avec des infusions régulières d’ichor démoniaque comme je lui ai donné, l’enfant peut être capable de tous les exploits.... La nuit dernière, j’ai entendu les battements du cœur de l’enfant, plus fort que n’importe quel cœur humain, le son d’une cloche puissante, sonnant le début d’une nouvelle génération de chasseurs d’ombres, le sang des anges et des démons mélangés pour produire des pouvoirs bien au-delà de l’imaginable... la puissance des créatures obscures ne sera plus jamais la plus grande sur cette terre…

Il y avait plus, beaucoup plus. J’ai enfoncé mes ongles dans les pages, mes doigts tremblants, mon esprit sondant le passé, je revoyais les mélanges que Valentin m’avait donnés à boire chaque soir, les bleus sur mon corps dans la matinée, les plaies béantes. J’ai tellement tremblé de tout mon corps, si fort que le livre est tombé de mes mains et a percuté le sol. Le bruit m’a réveillée de ma stupéfaction. J’ai couru dans les escaliers, à travers le passage dans la bibliothèque jusqu’à la chambre. Avec frénésie, j’ai commencé à emballer mes affaires, jetant seulement ce qui était le plus important pour moi dans un sac. J’ai eu la vague idée de courir à la maison de mes parents, tu vois, et de les supplier de me laisser rester avec eux. Mais je n’ai jamais pu aller jusque-là. J’ai fermé le sac, me suis tournée vers la porte... et Valentin était là, il me regardait en silence depuis la porte. Mes nerfs, déjà à fleur de peau, se sont brisés comme des cordes cassées. J’ai crié et fait tomber le sac sur le sol, en reculant devant mon mari. Il n’a pas bougé, mais j’ai vu ses yeux briller comme ceux d’un chat dans la lumière de l’aube. "Qu’est-ce que cela signifie Jocelyne ?" Je n’ai pas pu lui mentir. "J’ai découvert ta porte secrète dans la bibliothèque. Et j’ai trouvé ce qui était en dessous. Le petit théâtre des horreurs."

"Ces choses en bas sont des monstres…" avait-il affirmé " "Et moi, je suis quoi ? Suis-je un monstre ? "J’ai hurlé. "Que m’as-tu fait ? Qu’as-tu fait à notre bébé ?" "Rien qui ne pourrait lui faire du mal. Je te jure qu’il est en bonne santé." Le visage de Valentin était comme un masque d’ivoire. Comment n’avais-je jamais remarqué à quel point il pouvait avoir l’air aussi monstrueux ? Alors il s’est mis à parler, sans hausser le ton, sans ciller, il m'a raconté ses expériences, les moyens qu’il avait essayé d’apprendre afin de détruire plus efficacement les créatures obscures, afin de les anéantir en masse. Il avait même essayé de leur injecter du sang de démon... mais à sa grande surprise, ça n’avait pas eu l’effet escompté. Au lieu de les anéantir, ça les avait rendus plus forts, plus rapides et plus amènes à résister aux dommages qu’il essayait de leur causer. "Si cela a cet effet sur des demi-hommes", m’avait-il expliqué, son visage rayonnant, " Pense à ce que cela pourrait faire sur des chasseurs d’ombres."

"Mais ces créatures sont déjà en partie démoniaques… nous non ! Comment as-tu pu penser à faire des expérimentations sur ton propre enfant ? " " J’ai expérimenté sur moi d’abord, " avait-il répondu calmement, et il m’a raconté comment il avait injecté du sang de démon dans ses propres veines. " Ça m’a rendu plus fort, plus rapide... mais je suis un homme qui a fini sa maturité... pense à ce que cela va faire sur un enfant ! Le guerrier qu’il va devenir grâce à ça… " "Tu es fou," je lui ai dit en tremblant. " Pendant tout ce temps, j’ai pensé que je t’aidais à rester humain, mais tu n’es pas humain. Tu es un monstre... pire que toute de ces créatures pathétiques là en bas dans la cave "
Il était un monstre... Je le savais... et pourtant, d’une certaine manière, il est parvenu à avoir l’air blessé par ce que j’avais dit. Il s’est approché de moi, j’ai essayé de me précipiter vers la porte en le contournant, mais il m’a attrapée par le bras. J’ai trébuché, je suis tombée, et j’ai heurté le sol dur. Quand j’ai essayé de me relever, une douleur fulgurante m’a traversée. J’ai senti mes vêtements coller à ma peau, j’étais trempée et me sentais lourde, j’ai regardé autour de moi et j’ai vu que j’étais allongée dans une marre de mon propre sang. J’ai commencé à hurler alors que la conscience s’échappait de moi.

Je me suis réveillée dans mon lit, hébétée et désespérément assoiffée. "Jocelyne, Jocelyne," a murmuré une voix dans mon oreille. C’était ma mère. Elle a écarté les cheveux de mon front et m’a donné de l’eau. « Nous étions si inquiets », a-t-elle dit. "Valentin nous a appelés… " J’ai baissé les yeux, et j’ai vu mon ventre plat. "Mon bébé," ai-je murmuré, les larmes commençaient à me bruler les yeux. "Il… est mort ?" "Oh, Jocelyne ! Non ! "Ma mère a bondi sur ses pieds et s’est précipitée vers quelque chose dans le coin de la pièce. Un berceau... mon berceau, le même que celui dans lequel je dormais après ma naissance. Elle en a extrait une enveloppe de couverture et est venue vers moi avec précaution, en berçant son fardeau dans ses bras. « Là », dit-elle en souriant. "Prends ton fils."

Je l’ai pris, comme dans un état second. Au début, je savais seulement qu’il correspondait parfaitement à mes bras, que la couverture qui l’entourait était douce, et qu’il était si petit et délicat, avec juste une mèche de cheveux blonds sur le dessus de sa tête. J’ai recommencé à respirer… et puis il a ouvert les yeux. Une vague d’horreur s’est déversée en moi. C’était comme se baigner dans de l’acide... ma peau semblait brûler en s’arrachant de mes os et tout ce que je pouvais faire, c’était de ne pas faire tomber l’enfant et commencer à hurler. On dit que chaque mère sait... connaît instinctivement son propre enfant. Je suppose que l’inverse est vrai aussi. Chaque nerf dans mon corps hurlait que ce n’était pas mon bébé, que c’était quelque chose d’horrible, de contre nature et d'inhumains qui se trouvait dans mes bras comme un parasite. Comment ma mère ne pouvait-elle pas le voir ?... Et pourtant elle me souriait comme si de rien n’était. " C’est un gentil bébé," avait-t-elle ajouté. "Il ne pleure jamais."

" Son nom est Jonathan, " a dit une voix depuis la porte. J’ai levé les yeux et j’ai vu Valentin qui observait le tableau devant lui avec une expression presque impassible, cependant, le mince sourire sur son visage me confirmait qu’il savait qu’il y avait quelque chose de terriblement mauvais avec cet enfant. "Jonathan Christopher." Le bébé a ouvert les yeux, comme s’il avait reconnu la mélodie de son propre nom. Ses yeux étaient noirs, noirs comme la nuit, plus insondable que des tunnels creusés dans son crâne. Je pouvais regarder droit dans ses yeux et ne voyais qu’un vide affreux. C’est alors que je me suis évanouie.

Quand je me suis réveillée beaucoup plus tard, ma mère avait disparu. Valentin l’avait renvoyée chez elle... je n’ai aucune idée de comment il s’y était pris pour la faire partir… Lui, était assis sur le bord du lit, il tenait le bébé dans ses bras et me regardait. Les yeux de ton père étaient noirs aussi, et je les avais toujours trouvés très perçant, en parfaite contradiction avec ses cheveux presque blancs, mais à présent, ils me rappelaient juste ceux du bébé. J'ai eu un mouvement de recul, tout ce que je voulais, c’était m’éloigner d’eux. "Notre enfant a faim," a déclaré Valentin. " Tu dois le nourrir, Jocelyne. " "Non !" Je me suis détournée. " Je ne peux pas toucher… cette chose. "
"C’est juste un bébé." La voix de Valentin était douce, câline. "Il a besoin de sa mère." "Toi, nourris-le. C’est toi qui l’as créé. Il n’est même pas mon enfant." Ma voix s’est brisée. "C’est ton enfant, ton sang, ta chair. Et si tu ne le nourris pas, Jocelyne, il va mourir." Il a posé l’enfant sur les couvertures à côté de moi et a quitté la pièce. J’ai regardé la petite créature pendant un long moment. Il ressemblait à un bébé... ses petits poings et son petit visage fripé, même le duvet blanc sur sa tête, il ressemblait vraiment à un bébé. Ses yeux tunnel étaient fermés, sa bouche ouverte dans un silencieux petit miaulement. J’ai essayé d’envisager de simplement le laisser là, le laisser jusqu’à ce qu’il meure de faim, et mon cœur semblait se changer en glace dans ma poitrine. Je ne pouvais pas faire ça.

J’ai pris Jonathan dans mes bras. Quand je l'ai touché, la même vague de dégoût et d’horreur m’a submergée comme avant, mais cette fois je l’ai combattue. J’ai ouvert ma chemise de nuit et me suis préparée à nourrir mon fils. Peut-être y avait-il quelque chose dans cet enfant, une petite part de moi, quelque chose d’humain, qui pourrait d’une manière ou d’une autre faire surface.

Au cours des mois qui ont suivi, je me suis occupée de Jonathan du mieux que j’ai pu. Mon corps semblait se rebeller contre lui. Je ne produisais plus de lait et j’ai dû le nourrir au biberon. Je ne pouvais le tenir dans mes bras que pour de courts laps de temps avant de commencer à me sentir faible et malade, comme si je me tenais trop près de quelque chose de radioactif. Ma mère venait s’occuper de lui parfois, ce qui était un immense soulagement. Elle semblait ne rien constater de mal avec l’enfant, bien que, quelque fois, je la surprenais en train de regarder vers son lit avec un regard soupçonneux, comme une question sans réponse dans ses yeux…

Mais qui pourrait se poser de telles questions ? Qui pourrait même seulement supporter de les penser ? Jonathan ressemblait à un enfant tout à fait ordinaire, quand je l’ai amené à sa première réunion du Cercle, bercé dans mes bras, tout le monde m’a dit combien il était beau, avec cette extraordinaire couleur de cheveux et son regard, tout comme son père. Michael Wayland était là aussi, avec son petit garçon, qui avait tout juste le même âge que le mien. Ils partageaient même un prénom : Jonathan. Je regardais Michael jouer avec son fils et je me sentais malade de jalousie et de haine envers Valentin. Comment avait-il pu faire ce qu’il avait fait ? Quel genre d’homme ferait ce genre de chose à sa propre famille ?

"Par l’ange, tout ce qu’il sera capable de faire quand il sera plus âgé," soufflait-il parfois, penché sur le berceau de Jonathan, et le bébé gazouillait. C’était quasiment les seules fois où Jonathan émettait un son. Il était un enfant silencieux, qui ne pleurait, ni ne riait jamais, mais s’il devait répondre à quelqu’un, c’était à Valentin. Peut-être que c’était le démon qu’il y avait en eux deux.

C’est à cette époque environ que j’ai reçu un message secret de Ragnor Fell. Il m’a demandé de le rencontrer à son chalet. J’y suis allée un jour où Valentin était chez Stephen Herondale, il avait laissé Jonathan avec ma mère. Fell est venu à ma rencontre au portail. " Lucian Graymark est vivant, " avait-il annoncé sans préambule, et je suis presque tombée de mon cheval. J’ai supplié Fell de me dire ce qu’il savait. Il m’a seulement regardé avec froideur.
"Et toi, qu’as-tu à me dire, Jocelyne Morgenstern ? As-tu seulement fait ce que je t'ai demandé et suivi ton mari à la nuit tombée ? " Pendant que nous marchions dans son jardin, je lui ai tout dit : sur ce que j’avais trouvé dans la cave de Valentin, sur son livre, sur le sang de démon, sur les expériences de Valentin, et même sur Jonathan. Il parlait peu, mais je peux dire que même avec tout ce qu’il savait déjà sur Valentin, mes paroles l’avaient fortement ébranlé. " Et maintenant, parlez-moi de Lucian," ai-je insisté. " Est-il en sécurité ? Est-ce qu’il va bien ? " " Il est vivant, " avait répondu Fell, " et il est devenu le chef d’une meute de loups à la bordure Est de la forêt de Brocéliande. " Alors que je l’écoutais, incrédule, il m’a raconté comment Luke avait battu le vieux loup qui l’avait mordu, il l’avait tué au cours d’une bataille et est ainsi devenu lui-même le chef de meute. " Cette histoire court dans tout le monde obscur, " avait-il ajouté. " Le chef de meute qui jadis fut un chasseur d’ombres. "

Je n’avais qu’une idée en tête. "Il faut que je le voie".

Fell secoua la tête. « Non. J’en ai assez fait pour toi, Jocelyne. Tu dis que tu détestes Valentin, mais tu ne fais rien. Je t'aiderai… Je t'amènerai à Lucian — mais seulement si tu es prête à embrasser la cause de détruire Valentin et le Cercle. Sinon, je te conseille de prendre ton cheval et de retourner chez toi". "Nous ne pouvons pas vaincre Valentin. Le cercle est trop puissant, " avais-je alors protesté. "La faiblesse de Valentin est son arrogance", avait déclaré Fell. "Et tu es notre meilleure arme grâce à cela. tu es plus proche de Valentin que n’importe qui pourrait l’être. tu peux infiltrer le cercle, recueillir des informations, trouver ses points faibles et ses failles. Apprends leurs plans. Tu peux être la parfaite espionne. "

Et voilà comment j’en suis arrivée à devenir un espion dans ma propre maison. J’ai accepté tout ce que Fell m’a demandé — j’aurais tout accepté pour avoir une chance de voir Luke à nouveau. À la fin de notre rencontre, j’ai donné ma parole à Fell, et il m’a donné une carte. Quand je suis allée au campement des loups-garous de Luke, je pensais au début que je serais certainement tuée. J’étais sûre qu’ils me reconnaîtraient en tant que la femme de Valentin Morgenstern, leur plus grand ennemi. "Je dois voir votre chef de meute," avais-je exigé, alors qu’ils encerclaient mon cheval. "Lucian Graymark. C’est un vieil ami à moi ". Et puis Luke est sorti de l’une des tentes et a couru vers moi. Il avait l’air… il était toujours Luke, mais il avait changé. Il semblait plus vieux. Il avait les cheveux poivre et sel, alors qu’il n’avait que vingt-deux ans. Il m’a prise dans ses bras et m’a enlacée et ça n’avait rien d’étrange, d’être enlacée par un loup-garou. C’était juste Luke.

Je me suis aperçue que je pleurais. "Comment as-tu pu ?" J’ai demandé. "Comment as-tu pu me laisser croire que tu étais mort ?" Il m’a avoué qu’il ne savait pas à quel point j’étais loyale envers Valentin, ou à quel point il pouvait me faire confiance. "Mais je sais que je peux te faire confiance maintenant," m’a-t-il assuré, avec son vieux sourire. "Tu as fait tout ce chemin pour me trouver." Je lui ai raconté tout ce que j’étais en mesure de lui raconter, au sujet de la folie et de la violence grandissante de Valentin, et de ma désillusion avec lui. Je ne pouvais pas lui dire tout… à propos des horreurs qui avaient lieu dans la cave, de ce que Valentin m’avait fait à moi et à notre enfant. Je savais que ça allait le rendre fou, qu’il serait incapable de se retenir d’aller traquer Valentin pour le tuer, et il se serait sûrement fait tuer lui-même. Et je ne pouvais laisser personne savoir ce qu’il avait fait à Jonathan. Malgré tout, il était toujours mon enfant.

Luke et moi avons convenu de continuer à nous voir et d’échanger des informations sur ce qui se passait dans le cercle. Je lui ai rapporté quand ils se sont alliés avec les démons, et quand la Coupe Mortelle a été volée, et je lui ai expliqué leurs plans pour perturber la signature des accords. Ces moments avec Luke étaient les seules fois où je pouvais être moi-même. Le reste du temps, je jouais un rôle… je jouais à l’épouse avec Valentin, et j’agissais en parfait membre du Cercle avec nos amis.
Mais, ne pas laisser Valentin entrevoir à quel point il me rendait malade était le pire de tout.

Heureusement, je le voyais rarement. À mesure que les Accords approchaient, le Cercle précisait ses plans de tomber sur le dos des créatures obscures désarmées dans le Hall de l’Ange et de tous les abattre jusqu’au dernier. Je me suis assise silencieuse dans les réunions, incapable de participer à la planification hâtive, bien que je savais qu’il m’incomberait de jouer un rôle dans cette cabale en tant que membre dévoué. Céline Herondale, qui était a un stade avancé de sa grossesse, s’asseyait toujours près de moi, elle était souvent mélancolique, déroutée par l’enthousiasme du Cercle. Bien qu’elle n’ait jamais très bien compris leur haine passionnée pour les créatures obscures, elle adorait Valentin. "Ton mari est si gentil," me disait-elle de sa voix douce. "Il est tellement inquiet pour Stephen et moi. Il me donne des potions et des mélanges pour la santé du bébé, et c’est merveilleux".

Ce qu’elle venait de me dire m’a glacé le sang. Je voulais lui dire de ne pas faire confiance à Valentin et de ne pas accepter tout ce qu’il lui donnait, mais je ne pouvais pas. Son mari était le meilleur ami de Valentin et elle m’aurait sûrement trahi pour lui. Ma terreur d’être démasquée devenait plus grande chaque jour… je transmettais des informations à Luke dès que je le pouvais, constamment paniquée qu’un faux pas ne me trahisse auprès de mon mari. Je le voyais dès que je le pouvais. Je lui avais confié une valise avec mes biens les plus précieux, au cas où nous devrions fuir Idris ensemble… des bijoux que Valentin m’avait donnés, que j’espérais pouvoir vendre un jour, si j’avais besoin d’argent ; des lettres de mes parents et de mes amis ; une boîte que mon père avait faite pour mon fils, avec ses initiales gravées dessus, elle contenait une mèche de cheveux de Jonathan… des cheveux blancs soyeux, la même couleur que celle de son père. On n’aurait jamais pu dire, rien qu’en le regardant, que quelque chose n’allait pas avec mon enfant…

J’avais de plus en plus peur que Valentin ne découvre notre conspiration secrète et essaie de me torturer pour obtenir la vérité… Qui faisait partie de notre alliance secrète?  À quel point j’avais trahi ses plans?  Je me demandais jusqu’à quel seuil je pourrais résister à la torture, pourrais-je seulement y résister ? J’avais tellement peur de ne pas pouvoir.

Je me suis finalement convaincue de prendre des mesures pour m’assurer que cela n’arrive jamais. Je suis allée voir Fell et lui ai exposé mes craintes et il a créé une potion pour moi. Une potion qui me plongerait instantanément dans un sommeil profond dont je ne pouvais pas être réveillée mis à part à l’aide d’un antidote dont la recette se trouvait dans le Livre Blanc, l’un des plus anciens grimoires du monde des sorciers. Il m’a donné un flacon de potion et un autre flacon de l’antidote et m’a demandé de les cacher à Valentin, ce que j’ai fait. J’avais tellement peur que Valentin ne finisse par trouver un exemplaire du Livre, qu’un soir je suis allée dans le tunnel entre notre maison et celle des Waylands », et je l’ai caché dans leur bibliothèque.

Après cela, j’avais le sommeil plus léger, à part pour une chose. Je craignais de devoir prendre la potion, de tomber dans un sommeil de mort, et qu’il n’y ait personne pour me réveiller, personne qui ne sache ce qui m’était arrivé. J’ai pensé à la fin de Roméo et Juliette et imaginé être enterrée vivante... mais à qui pouvais-je faire suffisamment confiance pour confier cette information ? Je ne pouvais pas dire à Luke ce que j’allais faire, sans risquer de le compromettre et qu’il soit lui-même torturé, et de manière égoïste, je craignais trop pour lui, pour sa sécurité. Le raconter à mes parents nécessiterait de partager avec eux toute l’horreur de ma situation, et je ne pouvais pas faire ça. Je ne faisais plus confiance à aucun de mes vieux amis... même pas Maryse, aucun d’entre eux. Ils étaient trop sous l’emprise de Valentin.

Finalement, j’ai réalisé qu’il y avait une seule personne à qui je pouvais le dire. J’ai envoyé une lettre à Madeleine dans laquelle je lui expliquais ce que j’avais prévu de faire et la seule façon de me ranimer. Je n’ai jamais eu de mot de retour de sa part, toutefois, je savais que mon message avait été livré. Je devais croire au fait qu’elle avait lu et compris le message. C’était tout ce qui comptait. C’est à cette époque que Stephen Herondale a été tué lors d’un raid dans un nid de vampires. Valentin et les autres qui avaient pris part au raid se sont rendus au domicile des Herondale pour annoncer la nouvelle à Céline. Elle était enceinte de huit mois à l’époque. Ils ont dit qu’elle avait pris la nouvelle posément, elle avait seulement dit qu’elle voulait aller à l’étage pour chercher ses affaires avant d’aller voir le corps.

Elle n’est jamais descendue. Céline… si douce, si jolie, délicate Céline, qui n’avait jamais rien fait de surprenant et ne semblait pas avoir une once d’indépendance… qui s’était assise à côté de moi aux réunions du cercle et qui s’inquiétait de sa douce voix au sujet de la sécurité de son mari… Céline s’est coupé les veines et est morte en silence dans le lit qu’elle partageait avec son mari pendant que ses amis attendaient en bas de l’escalier.

Ce fut une tragédie qui a secoué le Cercle. J’ai entendu dire que les parents de Stephen, après la mort de leur fils et le suicide de leur belle-fille, avaient presque perdu la tête ; le père de Stephen est mort un mois ou deux plus tard, sans doute du choc. Je plaignais Céline, mais d’une certaine manière, je l’enviais. Elle avait trouvé un moyen de sortir de sa situation, je n’en avais pas. Quelques jours plus tard, j’ai été réveillée par le bruit d’un bébé qui pleurait. Je me suis assise droit comme un piquet et me suis presque jetée hors du lit. Jonathan, vois-tu, ne pleurait jamais... il ne faisait jamais de bruit. Son silence anormal était l’une des choses qui m’affligeait le plus à son sujet. Je dois être la seule mère dans l’histoire à avoir espéré contre toute attente que son bébé pleure et la réveille, il aurait pu crier toute la nuit même, mais il ne l’a jamais fait. Et d’un coup, le son des cris d’un bébé raisonnait sur les murs du manoir. Je me suis précipitée dans le couloir de la chambre du bébé, avec ma pierre de rune pour me diriger. Elle projetait des ombres étranges sur les murs pendant que je me penchais sur le berceau de Jonathan. Il dormait en silence. Pourtant, les pleurs continuaient, légers et discrets, les pleurs d’un enfant en détresse qui me déchiraient le cœur. J’ai couru en bas des marches et dans la bibliothèque vide. Je pouvais encore entendre les cris venant de l’intérieur des murs. J’ai atteint le livre à sa place sur l’étagère…

Rien ne s’est passé. La bibliothèque n’a pas coulissé. Et les pleurs me parvenaient toujours, comme s’ils provenaient de sous la maison, ou même des murs, à me rendre folle. Mais ce manoir avait été le mien plus qu’il n’avait été celui de Valentin, j’avais passé chaque été ici quand j’étais une petite fille. Si mon mari pensait que je n’avais pas exploré l’endroit à fond durant ces années, il se trompait. J’ai traîné le tapis persan qui recouvrait le plancher de la bibliothèque. Sous celui-ci, il y avait une trappe qui s’ouvrait si facilement que je savais qu’elle avait été utilisée récemment.

Les tunnels sous les maisons des chasseurs d’ombres ne sont pas rares, ils sont utilisés en cas d’attaques de démons, comme un moyen de se rendre d’une maison à une autre en secret. Ce tunnel avait jadis relié notre manoir à celui des Waylands, mais mon père avait rebouché le tunnel. Il était ouvert à nouveau à cet instant, sans doute par Valentin, et les murs de pierre étroits conduisaient tout droit dans les ténèbres. Je pouvais encore entendre le bruit des pleurs du bébé à cette distance...

J’ai suivi les pleurs, les pieds nus sur la pierre froide, m’arrêtant de temps en temps avec un soupir quand un rat ou une souris croisait mon chemin. Finalement, le tunnel s’ouvrait sur une grande salle en pierre qui avait probablement été autrefois une cave à vin. Blotti dans un coin de la chambre, il y avait un homme... mais ce n’était pas un homme en fait, j’ai ouvert de grands yeux, j’ai vu… des ailes blanches comme la neige émergeant de son dos comme deux grands arcs d’ivoire, et sa peau luisait comme du métal liquide. Ses yeux étaient d’or, et si tristes.
Ses chevilles étaient menottées avec de l’électrum et des chaînes d’électrum enfoncées dans la pierre le maintenaient au sol, mais ce qui faisait qu’il était vraiment emprisonné était le cercle de runes qui l’entouraient. Je me sentais irrésistiblement attirée vers lui, attiré par une force incroyablement forte. Comme je m’approchai, j’ai vu, à ses pieds, allongé sur une couverture, le bébé que j’avais entendu pleurer. Il gémissait doucement maintenant... épuisé, sans doute... un bébé garçon minuscule avec des cheveux dorés et les yeux fermés. Je suis tombée à genoux, j’ai pris l’enfant dans mes bras, et quand mes bras se sont enroulés autour de lui, un sentiment étrange m’a traversée... tout le contraire de ce que j’avais ressenti quand j’avais tenu Jonathan pour la première fois. Un sentiment de paix débordante...

Combien de temps j’ai tenu et bercé l’enfant, je ne saurais dire. Enfin, j’ai levé les yeux et j’ai vu l’ange... car je savais que c’était bien un ange... il nous regardait avec ses yeux dorés impassibles. Au moment où nos regards se sont croisés, soudainement, je connaissais son nom : Ithuriel. " Aidez-moi ", l’avais-je imploré, et si aucun changement n’est apparu sur son visage, il a baissé la tête et ses ailes se sont rabattues pour m’envelopper dans un nuage blanc de silence et de douceur. J’ai ressenti toute la paix que je n’avais plus ressentie depuis que j’avais épousé Valentin... puis une douleur perçante, subite et forte m’a atteinte, et c’est la dernière chose dont je me suis souvenue quand je me suis réveillée dans mon lit le lendemain matin.

Je me suis dit que ce devait être un rêve. Du genre réel, un rêve hallucinatoire courant chez les femmes enceintes… et j’étais enceinte. J’étais dans le déni depuis au moins un mois, mais ce matin-là, quand je me suis réveillée, je savais… Et une visite chez le médecin me l’a confirmé. J’allais avoir un enfant… encore.

J’étais horrifiée. Je savais ce que Valentin avait fait à mon premier enfant... qu’allait-il faire subir à celui-ci ? Depuis combien de temps savait-il que j’étais enceinte ? Je ne lui ai rien dit, mais il jetait des regards qui en disaient long parfois, son regard passant sur moi comme un couteau sous l’eau. Il savait... oh, il savait...

Le jour de l’insurrection est arrivé. Ce terrible jour. Je sais que tu as entendu parler de ce qui s’est passé par Luke : au sujet des Accords, de l’embuscade, de la bataille sanglante et de celle qui a suivi. J’ai essayé de démarquer les Chasseurs d’Ombres qui n’étaient pas impliqués dans le cercle de sorte que les membres de l’insurrection ne leur fassent pas de mal, mais il y avait tant de chaos... tant de sang... de nombreuses vies ont été brisées, plus que nous n’aurions jamais pensé. Et là, à la fin j’ai fait face à Valentin avec Luke à mes côtés et j’ai clairement vu la vérité dans ses yeux. Je me suis longtemps demandé s’il savait ce que je ressentais à son égard en réalité et ce que je m’apprêtais à faire durant toute cette dernière année de notre mariage — mais je le découvrais à présent sur son visage — il ne savait pas. La douleur dans ses yeux quand il me regardait était réelle et, malgré tout, elle m’a transpercé le cœur. "C’est comme ça, vous deux, vous avez manigancé ma trahison ensemble", avait-il rugi, le visage maculé de sang. "Vous regretterez ce que vous avez fait tout le reste de votre vie."

Luke s’est jeté sur lui, mais Valentin a arraché le médaillon d’argent de ma gorge et l’a jeté sur Luke, le brûlant gravement. Il a reculé pendant que Valentin s’est emparé de moi et m’a traînée vers la porte. Il beuglait des choses horribles à mon oreille, de choses à propos de ce qu’il allait faire à mes parents, à Jonathan, comment il allait faire de ma vie un enfer pour ce que je lui avais fait.

J’ai abandonné la bataille, les blessés, tout cela, et j’ai couru à la maison. Il était trop tard. Luke t’a déjà dit ce que nous avons trouvé — Je m’en souviens toujours comme si ça avait été un rêve. L’immense ciel noir au-dessus de nos têtes, la lune si brillante que je pouvais tout voir : la maison réduite en cendres par le feu démoniaque, assez brûlant pour faire fondre le métal, qui se déversait dans les cendres comme une rivière d’argent en fusion sous la face nue de la lune. J’ai trouvé les os de mes parents là-bas, et les os de mon enfant, puis, enfin, les os de Valentin lui-même, le pendentif du cercle qu’il portait toujours, encore enroulé autour de son cou décharné...

Luke m’a fait sortir de la ville cette nuit-là. J’étais groggy et m’étais enfermée dans un mutisme, comme un mort-vivant. Je voyais les visages de mes parents, encore et encore — j’aurais dû les mettre en garde. J’aurais dû les prévenir de ce que Valentin était capable de faire. J’aurais dû les tenir au courant des plans de l’insurrection. Je n’aurais jamais pensé...

Et je rêvais parfois de mon bébé. Je voyais son visage, quand il était éveillé, les tunnels vides de son regard, et je ressentais à nouveau du dégoût et de l’horreur comme j’avais ressenti la première fois que je l’avais touché. Et je savais que j’étais un monstre pour ressentir de telles choses. Quelle mère, quand elle apprend la mort de son enfant, ne peut s’empêcher de se sentir… soulagée ?

Sur le marché aux puces de Clignancourt, j’ai vendu l’amulette du Cercle de Valentin, un objet révoltant que je répugnais à conserver. Cela m’a rapporté beaucoup d’argent. Avec l’argent, j’ai acheté un billet d’avion pour New-York. J’ai dit à Luke que j’allais commencer une nouvelle vie là-bas — comme une terrestre. Je ne voulais sous aucun prétexte que le spectre de l’enclave ou des accords ne s’immisce dans ma vie à nouveau, ou dans la vie de mon enfant. Je lui ai expliqué que je détestais tout ce qui se rapportait aux Nephilim.

Ce n’était que partiellement vrai. J’étais dégoûtée par l’enclave, ça, c’était la vérité, et je savais qu’en tant que femme de Valentin, maintenant qu’il était un criminel, ils allaient vouloir que je vienne pour m’interroger… que je serais toujours considérée avec suspicion par les législateurs d’Idris. Je voulais me cacher d’eux. Mais plus que tout, je voulais me cacher de Valentin.

J’étais sûre qu’il était toujours vivant. Je repensais encore et encore à ce qu’il m’avait dit lorsqu’il m’avait traînée hors de la salle, à la façon dont il avait promis de faire du reste de ma vie un enfer. Ce ne sont pas les paroles d’un homme qui a planifié de s’immoler par le feu démoniaque, peu importe à quel point il était désespéré par l’échec de ses plans. Valentin n’était pas le genre d’homme à s’abandonner au désespoir. Même malgré la destruction de tout ce qu’il avait construit, il avait l’intention de se redresser à nouveau. Le phénix qui renaît de ses cendres.

Il y avait une autre chose que je ne pouvais pas dire à Luke. La nuit de l’insurrection, avant que nous quittions la ville, j’ai pris la Coupe Mortelle dans la cachette de Valentin, et je l’ai cachée dans mes affaires. J’avais pensé la rendre à l’enclave, mais dès lors,… je ne pouvais plus leur faire confiance pour la mettre à l’abri hors de portée de Valentin, pas quand ils étaient si enclins à croire qu’il était vraiment mort. Je devais être celle qui la lui cacherait. Et, inexorablement, sans aucun doute, il viendrait pour elle, et pour moi.

Luke m’a suppliée de ne pas le quitter. Il a dit qu’il viendrait avec moi — même quand je lui ai dit que j’attendais un autre enfant de Valentin, il a dit que cela ne faisait aucune différence, qu’il allait élever l’enfant comme le sien. Mais il n’avait jamais vu Jonathan — Je ne lui avais jamais dit ce que Valentin avait fait à mon fils. Comment pourrais-je être sûre qu’il n’avait pas fait quelque chose d’aussi terrible avec ce bébé que je portais à présent ? Et comment pourrais-je demander à Luke de partager cette horreur avec moi, ou le danger d’être poursuivis par Valentin, qui le détestait ? C’était impossible. J’ai refusé, à plusieurs reprises, même si je pouvais voir la douleur que cela lui causait. Même si je savais que cela signifiait que je ne le reverrais probablement jamais, et cette pensée a brisé ce qui restait de mon cœur.

Nous nous sommes quittés à l’aéroport d’Orly. Je me suis agrippée à lui jusqu’à ce que le dernier appel pour le vol ne retentisse et il m’a gentiment poussée vers la porte d’embarquement. C’était comme si on m’arrachait une partie de moi-même. Au dernier moment, je me suis retournée et j’ai couru vers lui et lui ai dit à l’oreille — "Valentin est toujours vivant." Je devais le lui dire. Je ne pouvais pas m’en empêcher. J’ai couru vers l’avion sans regarder en arrière pour voir sa réaction.

J’ai atterri à New-York en début de matinée, le ciel de l’aube était comme l’intérieur d’une perle suspendue au-dessus de la ville. Alors que mon taxi roulait sur le pont Williamsbug, j’ai baissé les yeux et j’ai vu l’eau de la rivière en dessous de moi, dont la surface ondulait ici et là par le battement des queues des sirènes. Même ici, entre ces murs de verre et d’acier, dans cette ville inhospitalière, le monde invisible était tout autour de moi…

Pour le reste, tu sais à peu près tout. Comment j’ai trouvé un endroit pour où habiter, comment j’ai trouvé du travail et faire la seule chose que je savais faire, ici, dans le monde ordinaire… la peinture. Non pas qu’il y avait beaucoup de travail pour une peintre. Si je n’avais pas eu ces bijoux que je pouvais vendre, j’aurais sûrement souffert de la faim. J’ai trouvé un appartement dans un immeuble appartenant à un vieux couple aimable, qui m’a laissée rester. Et en retour, je devais peindre un portrait de leur fils qui avait servi dans l’armée et était mort à l’étranger. Je leur ai dit que mon mari, lui aussi, était mort, et ils étaient désolés pour moi, je pense ; une jeune fille enceinte qui n’avait plus personne au monde…

La plupart des autres mères dans ma situation auraient acheté un berceau, des jouets, des chaussons et des couvertures de bébé. Je ne l’ai pas fait. J’étais terrifiée. Terrifié que ce qui s’était passé avec mon premier enfant ne se reproduise avec mon second. Je me souviens de cette nuit où je suis allée au travail et où on m’a emmenée à l’hôpital — C’était si différent de l’accouchement à Alicante, avec des murs blancs stériles et tous ces bip, ces terrifiantes machines. Je ne pouvais pas arrêter de pleurer, tout le temps, du moment où tu es née, jusqu’au moment où l’infirmière est entrée dans ma chambre d’hôpital et t’a amenée jusqu’à moi, dans mes bras. Et, quand j’ai baissé les yeux vers ton visage, une grande vague d’amour et de soulagement m’a envahie. Tes cheveux roux, tes yeux verts — tu étais mon enfant, à moi, il n’y avait rien de ton père en toi, ni quoi que ce soit de monstrueux ou démoniaque. J’ai pensé que tu étais la chose la plus parfaite qui soit jamais venue au monde. Je le pense encore.

La première fois que je t’ai emmenée dans le parc, tu as vu les fées là parmi les fleurs et tu es allée jouer avec elles. Les autres mères, elles nous regardaient avec consternation, si bien que je t’ai ramenée à la maison en quatrième vitesse. J’ai senti la terreur m’envahir comme une douche glaciale. Je pouvais voir ce que tu avais vu, mais personne d’autre ne le pouvait. Comment pouvais-je t’apprendre à vivre dans ces circonstances — de mentir à tous les gens que tu connaissais ? Je voulais que tu aies une vie normale, mais je n’avais pas pensé à ce détail. Et j’avais d’autres craintes aussi… il y avait des chasseurs d’ombres ici, des créatures obscures aussi, tout comme il y en avait partout dans le monde. Si des bruits à ton sujet se propageaient, peut-être que ça arriverait aux oreilles de Valentin, et il viendrait nous trouver. Et je ne pouvais pas laisser cela se produire. C’est pourquoi j’ai engagé Magnus Bane. Je ne suis pas fière de ce que j’ai fait. Je l’ai fait parce que j’avais peur. Je l’ai fait parce que je ne pouvais pas imaginer quoi que ce soit d’autre pour te protéger. Je l’ai fait parce que je pensais qu’une vie de bonheur insouciante serait mieux qu’une vie de danger à être pourchassée. Et je l’ai fait, peut-être, parce que je souhaitais pouvoir oublier, moi aussi, tout ce passé qui me torturait encore.

C’est Magnus qui m’a présentée à Dorothée, et Dorothée qui m’a donné l’idée de cacher la Coupe Mortelle dans une peinture. Je te tenais dans mes bras quand je l’ai rencontrée et tu as atteint le jeu de tarot et sorti une carte de la pile qu’elle avait sur sa table. Je t’ai grondée, mais elle a juste dit : « Voyons quelle carte a tiré l’enfant." C’était l’As de Coupe — la carte de l’amour. "Elle va vivre un grand amour dans sa vie," avait-elle prédit, mais j’ai focalisé sur l’image de la carte. Elle ressemblait à la Coupe Mortelle...

Avec la Coupe bien cachée dans le paquet que j’avais peint pour Dorothée, et Dorothée qui avait elle-même caché le jeu dans son sanctuaire, je me suis sentie plus calme. Tellement calme que lorsque Luke s’est soudainement présenté à notre porte, ayant l’air d’avoir dormi dans la rue pendant des semaines, je ne lui ai pas immédiatement dit de partir. Il était venu jusqu’ici, et je lui avais tellement manqué. Je l’ai laissé dormir sur le canapé, et le matin, il était toujours là, et tu étais assise à ses pieds pendant qu’il te montrait un jeu simple avec des cartes — un jeu d’Ombres, quelque chose que je n’avais pas vu depuis que j’avais quitté Idris. C’était comme s’il avait toujours été là avec nous, toujours à nous. Je ne pouvais pas lui demander de partir...

Luke a désapprouvé quand je lui ai dit ce que j’avais fait à tes souvenirs avec l’aide de Magnus, mais c’était la seule chose sur laquelle je restais immuable. Je lui ai expliqué qu’il ne savait pas toute la vérité, et que si ça avait été le cas, il aurait été d’accord avec moi. Je sais maintenant que j’avais tort. Luke avait toujours été quelqu’un qui croit en la vérité, peu importe si elle était cruelle ou impitoyable, et il aurait voulu que tu saches.

Au moins tu la connais à présent — et si tu me détestes maintenant, au moins ce sera à cause de la vérité et non pas à cause des mensonges. Et au moins tu sais maintenant que je t’ai toujours aimée et que tu as toujours été la chose la plus importante dans le monde pour moi. Cette nuit-là, quand Valentin et ses démons ont fait irruption dans notre appartement, à la recherche de la Coupe, j’ai à peine eu le temps de prendre la potion que Ragnor Fell m’avait donnée avant qu’il ne soit trop tard — mais j’ai attendu, juste assez longtemps pour me permettre de t’appeler et te dire que je t’aimais. Tout ce qui m’est arrivé à Idris, tout ce que Valentin m’a fait, ça en valait la peine parce que je t’ai eu.

Il y a une chose que je dois te dire. Magnus m’a parlé de Jace, de ce qui vous est arrivé à Renwick, et ce que ton père vous a dit là-bas. Je dois te dire maintenant qu’il mentait. Ce que tu crois être vrai sur toi et ton frère n’est pas la vérité.
Après avoir pris la potion, Valentin a tout essayé pour me réveiller, mais rien n’a fonctionné. Quand il m’a amenée à Renwick, j’étais allongée, figée comme dans la glace, faisant des va-et-vient entre conscience et inconscience. Je ne pouvais pas bouger ni parler, mais je savais parfois quand des personnes entraient et sortaient de la pièce. Pangborn et Blackwell sont venus me narguer, mais ils ne m’ont jamais touchée. Et parfois Valentin venait s’asseoir à côté de mon lit et me parler.

Il m’a raconté la façon dont les âmes mortes parlaient à Dante en enfer, lui disant la vérité de leur existence parce qu’ils pensaient qu’il ne reviendrait jamais au monde pour les trahir. Je pense qu’il était juste soulagé d’avoir quelqu’un à qui parler, comme j’avais une fois déversé tout ce qu’il y avait dans mon cœur à Ragnor Fell.

Il m’a dit  qu'il pensait quand il m’a épousée que nous affronterions le monde ensemble, unis contre l'’enclave et les accords. Il m’a dit que quand Jonathan est né, il avait réalisé qu’il m’avait perdue, que je le haïrais pour ce qu’il avait fait. Mais un vrai guerrier est prêt à tout sacrifier, même sa femme. Même sa famille. C’est en ça que Valentin croyait. Il était dans une croisade des temps moderne et tout ce qu’il faisait, c’était pour le bien de sa cause. Deus volts, disait-il. Parce que c’est la volonté de Dieu.

Après la naissance de Jonathan, Valentin avait soupçonné que je refuserais d’avoir d’autres enfants. Et c’était dommage, selon lui, parce qu’il avait imaginé nos enfants comme une armée de chasseurs d’ombres supérieurs — façonnée par lui. Il savait qu’il ne pouvait pas me forcer à avoir un enfant, je ne voulais pas, alors, il a tourné ses attentions vers Céline Herondale. Elle était jeune, dévouée, impressionnable. Quand elle est tombée enceinte, il lui a donné ses mélanges à boire, comme il l’avait fait pour moi, prétendant que c’était des potions faites par un sorcier qui amélioreraient la santé de son bébé. Elle a pris les médicaments, les poudres, les potions qu’il lui donnait, et l'a même laissé lui faire des injections comme s’il était un médecin. Elle était tout à fait confiante.
Et puis quelque chose est arrivé à laquelle Valentin ne s’attendait pas. Dans un raid sur un nid de vampire, Stephen a été tué. Et Céline — impressionnable, sensible, Céline si facilement influençables — s’est coupée les veines et en est morte. Les Herondale ont sombré, ils ont brûlé le corps de Stephen et enterré dans un mausolée Céline juste à l’extérieur de la cité des os — Aucun suicidé ne peut être enterré à l’intérieur de ses murs

On pourrait penser que cela aurait été la fin de cette histoire. Mais Valentin savait que ce qu’il avait fait, avait changé l’enfant à l’intérieur de Céline et il fallait qu’il sache. Donc, Valentin a pris Hodge avec lui et est allé à la cité des os, au beau milieu de la nuit. Il est entré dans le mausolée des Herondale et a fracturé le cercueil de Céline. Et puis, en utilisant la lame acérée de son kindjal, il lui a ouvert le ventre et a retiré le bébé encore vivant de son corps mort.
Tout autre bébé serait mort en même temps que sa mère. Mais Valentin avait donné à Céline des doses régulières de sang d’Ithuriel. Le sang du ciel, pur et concentré, et grâce à son effet, par miracle, l’enfant était encore en vie.

Il a ramené l’enfant à la maison cette nuit-là, la nuit où les pleurs d’un bébé m’avaient réveillée dans mon sommeil et où j’étais descendu pour trouver l’ange attaché dans la cave à vin des Wayland avec l’enfant à ses pieds. Au matin, Valentin avait donné le petit garçon à Hodge avec pour instructions de l’emmener à la maison de famille de Valentin à la frontière de Broceliande, et de le garder en bonne santé. Hodge comme nourrice ! — Mais il l’a fait, et a rapporté à Valentin que l’enfant semblait bien se développer.

. Le soulèvement est survenu seulement quelques mois plus tard. Je t’ai déjà parlé de cette terrible nuit. Après que Valentin a abattu Michael Wayland et son fils et laissé leurs corps brûler avec les corps de mes parents dans les ruines de notre maison, il a pris notre Jonathan et s’est enfui vers sa maison à la frontière de Brocéliande.

Pendant un an, il s’est caché là, enveloppé dans des couches de glamour donnant de mauvaises orientations, et il a élevé les deux enfants — son fils et son lieutenant, l’enfant en partie démon et l’autre en partie ange. Mais alors que l’enfant ange se développait comme un bébé ordinaire, son propre fils, l’enfant démon, a progressé à un rythme anormal. Alors qu’il était âgé de seulement deux ans, il avait la taille d’un enfant humain de six ans, avec la force d’un homme adulte. Et, il détestait son petit frère adoptif. Plusieurs fois il a essayé de le tuer et l’enfant n’a été sauvé que par l’intervention de Valentin. Finalement Valentin savait qu’il devait faire quelque chose.
Il avait hâte de revenir à une vie plus active, dans un endroit plus proche de la cité de verre. Dans un endroit où il pourrait rencontrer ses anciens disciples, des hommes comme Pangborn et Blackwell — dans un endroit où il ne serait plus tout à fait autant dans la clandestinité. Il a pris l’identité de Michael Wayland et est revenu avec le fils de Stephen Herondale au manoir de la famille Wayland.

Pourquoi n’a-t-il pas emmené son propre fils avec lui, me demanderas-tu ? Parce que son fils ressemblait maintenant à un enfant de six ans, et Valentin savait qu’il n’y avait aucun moyen pour que le garçon soit convaincant, en tout cas pas en tant que l’enfant des Wayland — et il était très important pour lui que plus tard, le garçon puisse convaincre ceux qui avait connu Michael que c’était son fils. Alors, il a amené le petit garçon blond de Stephen Herondale au manoir Wayland, et vivait aussi avec son propre enfant dans la maison délabrée en dehors de Broceliande.

L’enfant avait un nom maintenant — le nom du fils de Michael Wayland. Jonathan Wayland. Comme il était trop confus d’élever deux enfants avec le même prénom, Valentin a commencé à appeler l’enfant par un surnom.

Il l’a appelé Jace…

Ceci est une (fastidieuse) traduction personnelle... merci de ne pas la copier, mais vous pouvez toujours mettre un lien ;)
vous la trouverez en VO ici

7 commentaires :

  1. Merci pour ta traduction qui a dû te demander beaucoup de travail! C'est incroyable ;)

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  2. Oui, un peu ;) D'ailleurs ça me fait penser que j'en ai d'autre sur le feu!! :)

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  3. C'est presque uniquement du copier-coller... Tu sais sûrement qu'il y a des droits d'auteur? Très bien fait, mais fais attention, un plagiat est vite arrivé et vite punis

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  4. Copier coller de qui? de quoi? J'ai passer 15 jours à faire cette traduction d'un texte de Cassandra Clare qui n'existe pas en Français avec son autorisation explicite...
    Et en tant qu'auteur moi-même, je sais en effet plutôt bien ce que sont les droits d'auteurs... Je suis donc plutôt curieuse de savoir ce que ce post anonyme sous-entend...

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  5. C'est vraiment émouvant .. C'est a partir de ce passage du livre que je commence à comprendre Jocelyne et ses sacrifices.
    (Bravo pour la traduction :) ! )

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  6. T'as traduction est juste parfaite. J'ai été comme hypnotisée tout le long de la lecture. Merci de faire autant d'effort pour qu'on puisse suivre l'actu de Cassandra, tu es vraiment géniale!
    L'histoire de Jocelyne est vraiment poignante, elle a vécu des choses tellement difficile...et Jonathan me fait de la peine au final, toujours dans l'ombre, haï de sa mère.Lui aussi je comprends pourquoi il est devenu ce qu'il est.
    Enfin bref, à la base je voulais juste te remercier pour le travail titanesque que tu fais pour nous, pauvres terrestres XD. Encore une fois un énorme merci à toi Martange qui me fais tout les jours aimer un peut plus cette magnifique saga

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  7. Je suis extrêmement touchée par ton commentaire, vraiment merci à toi aussi pour le coup. :)

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